Son regard se porta sur la fille. C'était fou ce qu'elle lui ressemblait. Cet homme avait décidé lui laisser deux photocopies de lui ou quoi ?
Ian Robbins était venu à elle il y avait deux mois de cela. Avec lui, il y avait cette enfant de trois ans, qui s’était poliment présentée sous le prénom d’Ava. Celene n’avait pas tardé à comprendre qu’il s’agissait de l’enfant de son ex-époux qui avait déserté il y avait déjà deux ans de cela, en vue de sa chevelure blonde, ses grands yeux bleus, ce visage légèrement anguleux et cette bouche charnue. Alors qu’au fond d’elle, elle avait le sentiment qu’elle n’aurait jamais dû les laisser poser ne serait-ce qu’un pied dans l’appartement qu’elle partageait avec son nouveau compagnon et ses deux fils, elle les avait tous les deux nourris et logés pendant une semaine. A la grande surprise de son compagnon, de Finn et Seth.
Sans doutes parce qu’elle avait trop grand coeur et surtout parce que cette enfant lui faisait énormément de peine. Et ses fils n'avaient sûrement pas envie de passer de temps avec cet homme, mais elle osait espérer le contraire. C'était leur père après tout. Jusqu’à la fin de cette longue semaine, Celene n’avait pas cherché à savoir pourquoi Ian les avait abandonnés si lâchement, elle et ses fils, il y avait deux ans de cela. Ils n'étaient plus mariés après tout, puisqu'il avait également pris le soin de lui faire parvenir une demande de divorce à l'amiable, qu'elle avait accepté et signé avec grand plaisir, avant qu'ils soient expulsés de leur appartement. Et durant cette courte procédure qu'elle avait mené en cachette de ses fils, elle ne lui avait pas demandé d'explications lorsqu'elle l'avait revu à l'audience, pour la première fois depuis qu'il était parti, alors qu’elle pensait que c'était la dernière fois de sa vie qu'elle le reverrait. Alors pourquoi allait-elle le faire maintenant ? Elle avait seulement demandé des renseignements concernant la mère de la petite. Apparemment, cela faisait quelques semaines que Ian et sa fille n’avaient plus de nouvelles de cette dernière. Lorsque cette fin de semaine fut venue, Ian était allé vers Celene, lui disant qu’il lui confiait Ava pendant quelques jours, qu’il reviendrait, et qu’après ça, Celene et ses fils n’auraient plus aucune nouvelles de lui. Celene savait qu’elle ne pouvait pas lui faire confiance, que cette histoire sentait mauvais. Pourtant, encore une fois, elle avait accepté de lui rendre ce service.
Des jours passèrent. Aucune nouvelle de Ian. Des semaines passèrent. Encore pas de nouvelles de Ian. Il avait laissé Ava en début juillet, le 7 août, c’était l’anniversaire de la petite : elle fêtait ses quatre ans. Toujours pas de nouvelles de Ian. Pas un appel pour souhaiter un bon anniversaire à sa fille. Septembre approchait, il était bientôt venu le moment pour Ava de reprendre l’école, pour cela, elle avait absolument besoin d’un de ses parents. Aucune nouvelle de Ian.
“Cet enfoiré l’a abandonnée ! Comment est-ce qu’on peut être un salopard pareil, hein ?! Il va me le payer ! Je le tuerai ce type un jour, je le jure devant Dieu lui-même ! ” s’écria-t-elle, folle de rage, voyant que le numéro qu’il avait laissé était désormais, non-attribué.
Qu’allait-elle faire ? Qu’allait-elle faire de cette enfant ? Elle ne pouvait plus la laisser vivre ainsi, clandestinement dans son foyer. Et puis, elle avait déjà assez de soucis avec ses deux fils et son couple qui battait de l’aile. Une solution lui vint directement à l’esprit. C’était celle qui semblait être la plus logique.
Lorsque la secrétaire vint l’appeler afin de lui dire que l’assistante sociale, Mme Warner était prête pour le rendez-vous, Celene décrocha son regard d’Ava qui elle, était concentrée sur le circuit de motricité, qui se trouvait là, dans un coin de jeu destiné à faire patienter les enfants. Elle respira un grand coup, avant de demander à Ava de quitter son jeu et de la suivre elle et la secrétaire jusqu’au bureau de l’assistante sociale. Une fois à l’intérieur, c’était en ayant une légère boule au ventre qu’elle salua la fonctionnaire d’Etat, puis elle s’installa face à elle, en disant à Ava de s’asseoir sur la chaise à côté d’elle. Lorsque tout le monde fut installé, Mme. Warner pris la parole :
« — Alors, Mademoiselle Demaya… Qu'est-ce qui vous amène ici ? lança-t-elle calmement en ayant un sourire accueillant déssiné sur son visage.
— En fait, je voudrais...»
Alors qu'elle s'apprêtait à dire qu'elle souhaitait que l’Etat prenne la charge d’Ava, Celene porta son regard une nouvelle fois sur la petite fille. Elle ne l’avait pas regardé longtemps, certes. Mais elle l’avait regardé assez longtemps pour savoir si elle avait pris la bonne décision. Ava regardait Celene, de ses grands yeux bleus, l’aire de lui dire “Qu’est-ce qu’il va se passer ?”. Elle semblait être un ange tombé du ciel. Un vrai. Si innocente, si pure... Elle n'apercevait pas de lueur du Mal dans son regard. Aucun feu destructeur ni maléfique ne semblait brûler ni animer le doux regard de cette petite. Pas comme eux. Elle était peut-être le symbole, le fruit, le résultat de l’infidélité de son mari ; de la toxicité et de l’échec total de son mariage… mais elle ne pouvait pas la laisser et l’abandonner comme l’avaient fait sa mère, puis son père. Après tout, cette petite Ava n’y était pour rien. Elle n’était que victime des événements. Et Celene voulait que cela cesse. Elle voulait qu’on traite cette petite comme elle le méritait. Pas comme une sorte de dommage collatéral ou de poids. La vénézuélienne s’était rendue compte que depuis ces deux derniers mois, elle s’était fortement attachée à cette enfant. Qu’après toutes ces discussions qu’elles avaient eu, qu’après tout ce qu’elle avait appris sur les malheurs de cette petite blonde, grâce à ses petits mots innocents d’enfant de quatre ans, elle avait également droit à sa chance. Et puis la simple idée de laisser partir cet ange ; de la livrer aux bras d’inconnus qui pourraient être malveillants, brisait le coeur de Celene en d’innombrables morceaux. En tant que mère et après tout ce qu’elle avait partagé avec cette fille durant ces deux mois, elle ne pouvait pas la laisser ainsi. Elle ne pourrait plus se regarder dans une glace si elle le faisait. Celene voulait continuer à la connaître, à créer de nouveaux souvenirs avec elle. Elle avait cette envie de la protéger, de la garder auprès d’elle et de la voir grandir et évoluer au sein de son foyer. Elle voulait continuer ces activités qu’elles faisaient ensemble comme faire des gâteaux, parler de mode —même si elle savait pertinemment que les goûts d’une enfant de cet âge n’étaient pas forcément développés—, lui faire de splendides coupes de cheveux ; ou simplement, se balader avec elle et jouer. Elle voulait continuer à développer cette relation mère/fille, qu’inconsciemment, elles avaient déjà commencé à développer.
Certaine de la décision qu’elle venait intérieurement de prendre, Celene reprit la parole :
« — En fait, je voudrais savoir s'il était possible d'adopter ou au moins… avoir la tutelle de cette fille. Avant que vous ne me disiez quoi que ce soit, laissez-moi le temps de vous expliquer la situation. »