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Cela faisait bien longtemps que Mateo Davenport n'avait pas mis un pied dans ce foyer d'accueil catholique, l'Angel Guardian Home, à Brooklyn. S'il se souvenait bien, le dernier enfant venant d'ici qu'il avait pris sous son aile était Darryl Rivera. Depuis, aucun des profils des enfants présents dans cet orphelinat semblaient convenir, pour faire de l'un d'eux un futur agent de l'Institut W. . Ils étaient tous bien trop purs et trop sains pour pouvoir faire partie de tout ce monde. Apparemment, les bonnes soeurs qui s'occupaient de cet endroit accomplissaient merveilleusement bien leur rôle. Mais surtout, Mateo avait fini par mettre son statut de formateur de côté pour mieux s’occuper de lui. Mais cette Jocelynn Neal, suite à l'appel de la Sœur Drucilla, l'avait particulièrement interpellé. Il savait qu'il était malade, et qui lui restait désormais plus que quelques années à vivre, même si aucun des médecins qu'il avait pu voir n'avait su être précis. Cependant, l'idée de créer un dernier agent pour l'Institut occupait son esprit depuis quelques temps déjà. L'envie de créer une sorte d'agent ultime qui serait en quelques sortes le reflet de l'expérience de toute une vie à créer ces corps.[...]

—  Ah, c'est vous le psychiatre ? La plus cinglée de ces nones a même fait l'hypothèse qu'il fallait que je me fasse exorciser, dit-elle avant d'éclater d'un rire franc. En tous cas, je suis contente de me retrouver face à vous, et pas les mains et pieds attachés au lit, face à un exorciste  ! Et je préfère vous rencontrer ici, dans leurs bureaux, je sais qu'elles ont tendance à laisser traîner leurs petites oreilles et ça ne me plaît pas du tout.

Ajouta-t-elle avant de tirer la chaise de son bureau, jusqu'au pied de son lit pour que Mateo s'y installe.

— Tenez, installez-vous confortablement, Monsieur Le Retraité.

Finit-elle par dire, avant de s'asseoir en tailleur sur son lit. A vrai dire, il était surpris du comportement de cette adolescente. Soeur Drucilla lui avait dit qu'elle n'était pas du genre bavarde avec les professionnels comme lui. Mais c'était à peine si elle lui laissait placer ne serait-ce qu'un mot. Probablement parce qu'elle avait envie que cette entrevue se finisse au plus vite. Cependant, il n'allait pas la laisser s'en sortir si facilement.

— Jocelynn, je suppose ? demanda-t-il avant de prendre place sur la chaise au pied du lit. 

— Oui c'est moi, enchantée ! J'espère que Soeur Drucilla vous a parlé de moi, et bien en mal. Sinon, vous ? Je suppose que vous ne vous appelez pas Le Psychiatre ou Le Retraité ? Ca serait dommage quand même.

— Tu peux m'appeler Mateo. Tu...

— Pour être honnête, dit-elle en lui coupant la parole, je ne veux pas répondre à vos questions. Ne prenez pas ça personnellement mais c'est toujours la même chose. Comment vas-tu, Jocelynn ? Pourquoi t'es comme ça ? Pourquoi tu fais ça ? Et ton avenir ? Bla-bla-bla, bla-bla-bla, bla-bla-bla... Stop ! Vous feriez mieux de partir, vous avez perdu votre temps en venant ici.

[...]

Depuis ce jour, Jocelynn et Mateo avaient pris pour habitude de discuter ensemble une à deux fois par semaines. D'ailleurs, il l'avait même invité à passer les fêtes de fin d'année chez lui, avec sa grande famille. Et c'était fou ce qu'il était surpris de voir à quel point son geste avait pu la toucher. Une si grande complicité était née entre eux en si peu de temps. Ils discutaient de tout et de rien, de la pluie et du beau temps et de tout ce qui construisait ou ne construisait pas le monde. Ces discussions interminables semblaient influencer le comportement de Jocelynn. Même si elle n'était pas devenue un ange pour autant et qu'il était dans sa nature de faire les quatre-cent coups, c'était comme s'il y avait quelque chose de différent. Tout du moins, lorsqu'elle se trouvait à proximité de lui. Elle se sentait écoutée et comprise avec Mateo et surtout loin d'être jugée. Elle l'avait petit à petit intégré à sa vie, comme le père ou le grand-père qu'elle aurait aimé avoir. Quant à lui, il appréciait passer du temps avec cette gamine. Malgré son comportement imprévisible, il trouvait intéressant d'écouter son point de vue et d'échanger avec elle. Il la rendait nostalgique d'une époque qui était malheureusement lointaine pour lui, en lui faisant penser à sa propre petite fille. Mais surtout, il considérait que cette gamine avait du potentiel. Elle avait déjà cette capacité de disparaître et de se faufiler partout comme bon lui semblait, et une manière d'observer le monde et les gens tout à fait pertinente. Elle pourrait être un excellent atout pour l'Instit W. Cependant, elle était trop bornée, imprévisible et immature pour être sûr qu'il puisse la faire s'enrôler dans toutes ces folles histoires. Mais en ce soir de décembre, quelques jours seulement avant les fêtes de Noël et du Nouvel an, alors qu'il était en compagnie d'anciens disciples dans sa propriété situé dans le compté de Nassau, il fut perturbé lorsqu'il entendit sonner. Il n'attendait ni Jocelynn ni personne d'autre de sa famille avant le lendemain et il trouvait cela particulièrement étrange qu'on vienne le déranger en ces heures particulièrement tardives. Ce fut alors qu'il s'en alla ouvrir la porte après avoir dit à ses anciens élèves qu'il pouvait bien s'en occuper. Et à sa grande surprise, il se retrouva face à Jocelynn, tremblante, et les yeux rouges remplis de larmes. Ce fut alors que d'une voix tremblante, elle prit la parole :

— Mateo... Aide-moi, s'il te plaît, je... je crois que j'ai fait une grosse bêtise ! Tu es la seule personne sur qui je puisse compter, la seule personne qui ne me jugera jamais. Aide-moi à me sortir de tout ça et je jure que... je jure que je ferais tout ce que tu voudras. Mais je ne veux pas aller en prison.  C'était pas ma faute...

— Jocelynn ? Qu'est-ce qu'il se passe ? rétorqua-t-il inquiet.

— Vois par toi-même. dit-elle en se décalant.

Mateo jeta un bref regard vers la voiture qui se trouvait derrière elle, avant de reporter son regard sur Jocelynn.

— Et depuis quand tu as une voiture ?

— C'est lui qui m'a appris à conduire et c'est sa voiture. Mais c'est pas la question, allez, vas voir !

Sous ses mots, Mateo s'approcha de la voiture, et lorsqu'il s'y approcha d'un peu plus près, il vit une silhouette masculine allongée sur la banquette arrière. Alors il se retourna vers Jocelynn, qui elle, le regardait de loin, nerveuse. Il poussa ensuite un juron avant de contourner la voiture et d'ouvrir la porte arrière du côté où se trouvait la tête de cet homme et il crut presque halluciner en voyant le profil de cet homme. Un type, dans la trentaine, torse nu, sans doute issu d'un métissage afro-caucasien, assez sportif et tatoué. Instinctivement, il sortit sa tête de la voiture avant de se tourner vers Jocelynn qui se tenait devant la porte d'entrée de la propriété, l'air furieux.

— Putain mais Jocelynn, à quoi tu joues ! C'est ça ton petit ami ?! Ce type à l'air d'avoir dans les... trente ans ! s'exclama-t-il de manière presque dégoûté.

— Mateo, je pensais que tu ne me jugerais jamais, toi !  s'exclama-t-elle en se dirigeant vers le sexagénaire.

— C'est lui que je juge ! s'exclama-t-il. Qu'est-ce que ce type vient foutre avec une gamine de seize ans ? marmonna-t-il, commençant à être exaspéré par ce qui semblait être le contexte de cette situation.

Après avoir poussé un soupire agacé, Mateo amena le bras de l'homme vers lui et décida de vérifier si ce type avait encore du pouls à partir de son poignet. Il en avait encore et en y regardant de plus prêt, il respirait. Grâce à Dieu, il ne se trouvait pas avec un cadavre entre les bras. Même s'il aurait su comment s'en débarrasser en toute discrétion, ne pas avoir à le faire était déjà une chose moins embêtante. Suite à cela, le sexagénaire  poussa un léger soupire de soulagement, puis il se redressa et fit face à Jocelynn.

— Il n'est pas mort. Le coup que tu lui as porté l'a juste un peu... sonné. Il finira par se réveiller, finit par dire Mateo.

— Quoi?! Il... Il faut le tuer, alors ! Sinon il risque de parler ! Mateo, ça sera juste entre toi et moi ! Personne ne saura jamais ce que tu as fait pour moi, je t'en serai toujours reconnaissante, bien plus que je ne le suis déjà !

— Non, Jocelynn, on ne va pas le tuer, bon sang ! s'exclama-t-il exaspéré. Rentres-toi bien tout ce que je vais te dire à partir de maintenant dans le cerveau et n'en perds pas une miette. Ça sera ta première leçon.

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