Elle se revoyait. Oui elle se revoyait encore et encore la planter. La planter là, en plein dans la gorge en même temps que les policiers réussissent enfin à défoncer la porte d'entrée de l'appartement quelle partageait avec Brenda, sa belle-mère qui avait sa charge depuis la tragique mort de son père, il y avait à peine quatre mois avant les faits. Elle ne voulait pas lui faire de mal... Cependant, Lin en avait été obligée. Après tout, c'était sa vie contre la sienne. Elle l'avait tué. Est-ce qu'elle avait avoué ? En était-elle certaine en réalité ? Ca, c'était une toute autre histoire. Mais son avocate, quant à elle, lui avait affirmé qu'il fallait qu'elle prétende le contraire devant la cour. Après tout, la manière dont Lin avait prémédité ce meurtre et son état avaient fait que le monde entier croyait à son innocence, et qu'elle avait parfaitement fait ce qu'il fallait fasse à cette femme qui avait tué son père et qui avait ensuite tenté de la tuer. Et ce soir-là quelque chose en elle lui avait dit qu'il fallait qu'elle le fasse, qu'il fallait qu'elle se venge, qu'elle n'ait que ce qu'elle mérite. C'était presque comme si elle avait entendu son père. Comme s'il avait été à ses côtés, comme si c'était lui qui l'avait guidée. Son père ne se serait jamais suicidé. Jamais. Elle y croyait dur comme fer. Non, jamais il ne l'aurait laissée seule face au reste du monde. Et cette conversation qu'elle avait entendue... Elle avait fait ce qu'il fallait. Pas de doute possible. Alors pourquoi ? Pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Pourquoi est-ce qu'elle avait l'impression de regretter son geste ? Elle était sur le point de se faire juger et Maître Cannon lui avait promis qu'elle s'en sortirait indemne, que tout penchait en sa faveur. Elle devait continuer à mentir. Même si c'était contraire aux principes que lui avaient inculqués son père.
— Hé ! lança Maître Cannon en interpellant Lin.
— Oui ? répondit-elle surprise, reprenant ses esprits.
— Une fois qu'on y sera, arrêtez de faire cette tête, vous avez l'aire sacrément coupable, comme ça. Ne vous en faîtes pas, Mademoiselle Yan... Ayez confiance. Vous n'irez pas en prison pour ce que vous avez fait, dit-elle avec bienveillance.
— Mais je vous ai dit la vérité. Brenda ne m'a jamais avoué qu'elle avait véritablement tué mon père, j'ai déclenché la bagarre et je...
— Ecoutez moi bien... Ici, dans toute cette histoire c'est vous la victime. Enfin... tout laisse croire que c'est le cas et dans cette réalité, ça l'est. Vous avez vous-même fait en sortes que ce soit le cas ! Alors continuez dans cette lancée.
— Je ne sais pas... Je ne sais pas si je suis encore capable de mentir de cette manière.
— Vous savez Lin, après tout ce que vous avez fait, vous pouvez encore prétendre devant toute la cour que c'était elle la responsable de tout ça, qu'elle est arrivée et qu'elle a commencé à vous agresser... Qu'au moment où elle s'est emparée du couteau, elle vous a avouée qu'elle était coupable... Comme je vous l'ai dit, souvenez-vous de tout ce que vous avez dit à votre déposition dans le moindre détail et ressortez exactement la même chose. Je n'ai encore jamais perdu de procès alors qu'il y avait des cas plus délicats que le vôtre. Ne faîtes pas tout capoter.
— Mais la vérité finit toujours par se savoir d'une manière ou d'une autre !
— Vous êtes adorable, encore si... innocente. Ma fille devrait prendre exemple sur vous, vous savez elle a votre âge. Vous apprendrez bientôt que dans la vie, la vérité n'est qu'un tissus de mensonges et que le monde... Le monde est tellement plus noir, dit l'avocate avant de lui adresser un sourire bienveillant mais à la fois amer. Il n'y a que des gens comme la prochaine vous, moi et des personnalités plus atroces qui réussissent véritablement à faire leur place.
— La prochaine moi ?
— Une fois que ce procès sera fini, vous comprendrez. Et dans quelques années, vous repenserez à ce jour, et ça sera une évidence.
« Grâce aux preuves recueillies et aux témoignages, il a été conclu que l'accusée avait été victime d'un agresseur prêt à attenter à ses jours, que ses moyens de défense étaient proportionnels à l'attaque menée contre elle, et que par conséquent, s'attaquer à Brenda Moor était une nécessité absolue. L'accusée était ainsi en pleine situation de légitime défense. Le jury a donc donné son verdict. Lin Yan n'encourra à aucune peine d'emprisonnement ni d'autre sanction. »
Quand était-elle devenue la nouvelle elle ? A la mort de son père ? A la fin de ce procès ? Quand elle avait décidé de devenir Nikkie ? A son entrée à l'université ? Lors de sa rencontre avec Andre ? Au contraire, à la fin de sa relation avec lui ? Ou lorsqu'elle avait rencontré Samuel Kalina ? Ou peut-être que c'était tout cela qui avait fait qu'elle était devenue la prochaine elle : Nikkie Yan, une femme d'affaires reconnue d'à peine vingt-six ans, à qui tout — ou presque, semble sourire. Elle était l'une des meilleures dans ce qu'elle faisait et travaillait pour l'un des meilleurs. Avoir Nikkie Yan à ses côtés était bien une source de fantasme pour tous les magnats et pour certains, ces rêveries allaient bien au-delà de simples affaires. L'avoir comme épouse ne serait pas de refus pour de nombreux hommes de ce monde. Après tout, les plus clairvoyants d'entre eux voyaient bien de quoi elle était faite. Pour les plus courageux et avides de pouvoir d'entre eux, avoir une femme comme elle pourrait être un idéal et surtout un grand atout. Ses sourires, ses paroles, ses manières, ses regards : faux. Tout était faux. Sa langue, maniait bien plusieurs langages et était perfide, elle était de celles dont il ne fallait pas croire un mot. Sa fourberie et son hypocrisie étaient ce qu'elle maniait le mieux et ce qui faisait d'elle la femme qu'elle était devenue. Si elle disait que c'était noir, c'était probablement blanc ; si elle disait que c'était gris, c'était certainement rouge. Et cela variait d'une personne à une autre. Se faire apprécier d'untel ? Trop facile, si ça l'avantageait elle ou son patron, même si untel était d'une nature qui lui donnait probablement envie de vomir. Cependant, être la femme d'un de ces hommes ou d'autres n'était pas ce qui intéressait Nikkie. Et dire qu'elle pensait garder un semblant de bonne conscience en ne devenant pas N°4, en n'étant pas un membre à part entière du Cartel. Elle n'était pas comme eux. En tous cas, elle tentait de s'en persuader. Elle, une mafieuse ? Une scélérate ? Une hors-la-loi ? Une criminelle ? Elle ? Voilà qui décevrait son père. Alors elle prétendait ne pas l'être et refusait ce titre qui était d'ailleurs celui de son amour perdu à jamais. Mais ses agissements parlaient pour elle. Elle trompait les autres et se trompait elle-même. Il n'y avait donc là aucune limite ? Tout cela ressemblait à un cercle particulièrement et dangereusement vicieux. Mais après tout le vice était ce dont ce monde, qui était devenu sien depuis ce jour était fait. Quelques années plus tard, voilà qu'elle repensait au procès et aux paroles de Maître Cannon. Et elle avait raison : c'était une évidence.