« Quitame la piel de ayer... »
« Contrairement à ce que vous pouvez croire, être un bon assassin ou espion ne nécessite pas simplement de savoir se battre et manier les armes. Même si c'est une grande partie du travail, le plus important, c'est ce qu'il y a là-dedans... Sans un minimum d'intelligence et de bon sens, on vous tuera ou vous attrapera dès votre première mission. Et sachez que pour nous, ça ne sera pas une grande perte. » Voici les premières phrases que Mateo avait dites lors de son tout premier cours pour faire de Darryl, Tiana, Leonel et elle de véritables agents de l'Institut. Petronia n'y croyait pas encore. A vrai dire, elle n'avait pas pleinement conscience de ce dans quoi elle s'engageait. Cet homme s'était présenté à elle comme un sauveur, la seule personne qui semblait vouloir d'elle à cette époque. Oui, la seule et première personne sur Terre qui lui avait porté un minimum d'intérêt, depuis qu'elle s'était retrouvée seule ; qui pouvait peut-être lui apporter de nouveau cette figure paternelle qui lui manquait tant depuis ces presque deux dernières années. Alors, elle était prête à tout pour le rendre fier. Prête à tout pour ne plus être de nouveau seule. [...]
Un peu plus de douze ans plus tard, Petronia repense encore et toujours à ces paroles. Son premier cours pour être un assassin hautement entraîné —pour ne pas dire "sur", digne de ce qu'était l'Institut W.. Cela faisait maintenant dix ans qu'elle appliquait soigneusement toutes les leçons qu'il lui avait donné. Qu'elle s'évertuait à être classée parmi les meilleurs du réseau pour le rendre encore et toujours plus fier d'elle. A vrai dire, ça n'était franchement pas une partie de plaisir, mais c'était elle qui avait accepté de mener ce train de vie. Mais la donne avait changée. Il n'était plus là. Mateo s'en était allé depuis deux ans, déjà. La maladie et l'âge l'avaient emporté. Et maintenant c'était à leur tour. Alec et Narcissa étaient morts. Ils se sont faits trahir de la pire des façons par leurs alliés. Par ceux-là même qui dirigent tout le réseau, désormais. Malgré le fait qu'on lui avait appris à se détacher de certains de
ses sentiments et principes, la loyauté lui était encore d'or. Et sa loyauté envers Mateo et les siens existait même après leurs morts. C'était pour cela qu'elle avait pris la décision de partir. De ne plus travailler pour des traîtres, pour des gens qu'elle considérait illégitimes. Alors, face à celui qui s'était auto-proclamé nouveau grand dirigeant de l'Institut W. après avoir fait la route jusqu'à Seattle, et s'être introduite au sein de sa propriété en pleine nuit, Petronia l'a doucement réveillé, tout en lui faisant signe de ne pas faire de bruit, s'il ne souhaitait pas qu'elle égorge sa femme paisiblement endormie. Ils se sont ensuite rendus dans le jardin de la propriété et l'homme prit alors la parole :
« —Ca alors, l'une des protégées de ce bon vieux Mateo... lance-t-il avant de déglutir. Que veux-tu ? Qu'est-ce qui t’amènes chez moi maintenant ?
Il observe les alentours un court instant avant de reprendre :
— Je devine que c'est inutile d'appeler mon agent de sécurité, si tu as réussis à venir jusque là.
—Qu'est-ce qui m'empêcherai de vous ôter la vie, là, maintenant, après ce que vous avez fait ? rétorque-t-elle en pointant son couteau vers lui. Il n'y a plus personne pour vous défendre, ici. Et ce n'est sûrement pas votre pauvre femme qui n'a absolument aucune idée du genre d'homme qu'est son mari qui le fera. Mais... je ne le ferai pas parce que ça serait bien trop doux et bien loin de ce que vous méritez, dit-elle en baissant son arme. Et je laisse le destin se charger de votre cas. Les choses à venir risquent d'être terriblement dures et amères pour vous.
— Qu'est-ce que tu sais ? rétorque-t-il vivement.
— Moi ? Moi, je ne sais absolument rien. C'est juste un pressentiment, dit-elle avant de rire. Je le promets, ajoute-t-elle en levant sa main droite avant de reprendre son sérieux. Enfin, je suis venue vous dire ça en personne : ne me comptez plus parmi vos hommes, lançe-t-elle en le fixant droit dans les yeux. Je ne vous embêterai pas et vous ne m'embêterez pas. C'est clair ? Sachez que je ne me laisserai jamais faire et que s'il le faut, je m'occuperais chacune de vos nouvelles recrues et chacun des agents corrompus que vous m'enverrez jusqu'au dernier. Et si jamais la mauvaise idée de me faire tomber ou faire tomber l'un de mes frères ou ma sœur vous traversait bêtement l'esprit... vous tomberez aussi. Soyez-en certain. »
Sous ces mots, Petronia tourna les talons sans attendre de réponse de l'homme, mais elle s'arrêta net lorsqu'elle l'entendit reprendre la parole :
« — Mateo ne t'a donc pas appris que-
Elle lui coupe la parole :
— Mateo est mort. Et ne prononcez plus son nom. Ne me forcez pas à vous couper la langue pour si peu, ajoute-t-elle avec une fausse ironie. »
« Comment avoir une vie normale après ça, Tiana ? J'ai brisé tellement de vies ces dix dernières années. Pendant une décennie je n'ai vécu que pour l'Institut. Rien de tout ce que je faisais n'était pour moi. Après tout, ma vie se résumait à satisfaire mon boss en faisant ce qu'on m'a appris à faire le mieux, sans même penser à si j'étais satisfaite de mon train de vie, à refouler toute une flopée de sentiments qui pouvaient semer le doute chez moi, me donner envie de tout arrêter. Mais après tout, " c'est ce pourquoi Mateo nous a formé. ", tu me diras, comme toujours. Mais aujourd'hui il n'est plus là et l'Institut a volé en éclats. Dis-moi, quand on a seulement vécu pour cette vie, peut-on redevenir "normal" ? Contrairement à vous, rien dans ma vie peut me rallier à une vie normale, ou me donner l'envie d'en avoir une. Je n'ai pas de relation comme la tienne : avec Darryl vous vous aimez, êtes prêts à partir jusqu'à l'autre bout du monde juste pour tout recommencer. Leonel a su s'imposer des limites et les respecter, choisir une voie qui l'a toujours intéressé, et qui fait tout pour être un bon père pour sa fille. Je me dis que je ne suis pas comme vous et que je n'ai rien de ce que vous avez, que je ne l'aurai jamais. Je sais que je ne devrais pas comparer ma situation aux vôtres. Avant, ça ne me traversait pas l'esprit. Mais aujourd'hui les choses ont changées et ça me travaille encore et encore. » C'était l'une des dernières discussions qu'elle avait eu avec Tiana, avant qu'elle s'en aille pour l'Angleterre avec Darryl. Qu'allait-elle faire de sa vie, désormais ? Retourner auprès de l'Institut W. ? Plutôt mourir. Pendant un court instant, elle pensa à ne pas spécialement changer de vie. Oui, elle pensait continuer à être tueuse à gages, même si désormais, elle ne travaillerait qu'à son compte. Traquer et tuer, elle ne savait faire que ça, depuis presque dix ans. Tuer ne lui procurait aucun plaisir, c'était une tâche qu'elle trouvait malgré tout, encore ingrate. Mais pourquoi arrêter de faire ce qu'elle faisait de mieux ? Mais quelque part, elle avait envie de se réinventer, de changer de peau, encore une fois. De laisser cette peau qui était sienne depuis les dernières années de son adolescence. Travailler pour les forces du gouvernement comme Leonel ? Non, il en était hors de question. Alors, elle se souvint de ses quelques années à l'université.
Même si elle avait obtenu une licence en biologie, et validé sa première année de master, elle ne se voyait pas avoir un petit poste dans un laboratoire, avec un peu de chance. Et encore moins retourner à la fac afin de valider sa dernière année. Fatiguée de penser à ce qu'elle allait enfin faire de sa vie, Petronia prit ce carnet qu'elle avait retrouvé en faisant un peu de tri dans ses vieilles affaires. Peut-être que ça lui rappellerait quelques vieux souvenirs et l'aiderait à se changer les idées quelques instants. Elle l'avait eu à quinze ans, à cette époque elle aimait bien dessiner, elle était même plutôt douée, même si le dessin n'était pas devenu une grande passion pour elle, finalement. Elle tourna les pages et vit des dessins et des croquis de l'anatomie humaine, de portraits, d'animaux, des dagues et surtout de fleurs. Beaucoup de fleurs. Elle en incluait toujours à ses dessins. Il était vrai qu'elle les avait toujours aimées. Elle les aimait pour leurs formes, leurs couleurs et pour certaines leurs senteurs. Elle les aimait pour ce qu'elles représentaient aussi. Il y avait des fleurs pour tout et n'importe quoi. Des fleurs pour le bonheur, comme pour le malheur. Enfin, des fleurs pour la vie. Et si elle ouvrait sa propre boutique, elle en avait les moyens ? Cette pensée lui arracha un léger sourire. Quelle ironie ça serait. Même si elle le faisait véritablement, elle savait qu'elle ne pourrait pas se contenter d'avoir la vie tranquille d'une simple fleuriste.