« Sahar... Ma toute petite, ton joli prénom signifie l'aube. Je ne t'ai pas appelé comme ça parce que l'aube est le meilleur moment de la journée, ni même par hasard... Mais bien parce que tu as été le commencement, mon aube, le début de ma nouvelle vie. Une vie meilleure, oui. Et cette vie meilleure, pleine d'amour, de joie et d'incroyables souvenirs, je l'ai eue pendant ces douze merveilleuses années, depuis ta naissance. Être ta mère a été un véritable don d'Allah, pour moi. Mais seulement... je sais que... que tout est sur le point de s'achever. Que cette vie, que toute ma vie va s'achever. C'est sans doutes le prix à payer pour tous mes horribles pêchés. Dans peu de temps, ils viendront pour moi, ma fille. C'est inévitable. Les choses qui devaient me rattraper, me rattrapent, aujourd'hui-même. Tu entends et est-ce que tu vois ce qu'il se passe autour de nous ? Ecoute. Est-ce que tu les entends, les cris de souffrance et les pluies de balles ? Regarde. Est-ce que tu les vois, les flammes impérissables et les rivières de sang ? Le village, nos amis et nos voisins qui me protègent sont détruits par ma faute, car c'est moi, qu'ils cherchent. Ils vont me faire du mal, mais je ne supporterai pas qu'ils puissent t'en faire à toi également. Si tu restais, ils t'en feront sous mes yeux, pour mieux m'achever ensuite. Ils te briseront, te feront des choses affreuses ! Sahar... ils te donneront l'envie de mourir, s'ils ne te tuent pas. Et je ne veux pas que ça arrive. C'est pour ça que tu dois partir seule. Car une chose est sûre, si je restais à tes côtés, tu ne seras jamais en paix. Prends ce sac, il y a de la nourriture, des vêtements, de l'argent et tes papiers d'identité. Tu sais te débrouiller. En allant assez vite et aussi avec un peu de chance, tu parviendras à t'enfuir et te mettre en sécurité, sans qu'il ne t'arrive quoi que ce soit. Essaie de prendre le plus rapidement possible la route de Téhéran, et retrouve Nazira Zandi. Elle s'occupera de toi. Et t'apprendra tout ce que je n'ai pas eu le temps de t'apprendre et plus encore. Je t'aime, ma fille, quoi qu'il arrive je serai toujours à tes côtés, je te le jure devant Allah. Ne l'oublie jamais. Oui, je te protégerai et veillerai sur toi, même si je ne serai plus là. Je te le promets ! ...Vite ! On n'a plus le temps, ils arrivent ! Allez, vas, sors par la porte de derrière ! Cours, et ne te retournes surtout pas, est-ce que tu m'entends ?! Qu'importe ce que tu entendras ou verras, ne te retourne jamais, Sahar ! Continues toujours tout droit ! Toujours ! Adieu, ma fille ! »
Cela faisait deux semaines que Nazira l’avait sauvée. Deux semaines qu’elle s’occupait d’elle. Deux semaine qu’elle l’avait accueillie au sein de l'une des plus grandes et luxueuses propriétés de Téhéran. Et cela faisait deux semaines que Sahar se sentait réellement en sécurité depuis tout ce qu’il s’était passé. Depuis qu’elle l’avait rencontrée, la fillette s’était toujours demandé si c’était la Nazira. Cette femme que sa mère lui avait demandé de retrouver à Téhéran. Bien que le monde la connaissait sous le nom de Nazira Malek, peut-être que Zandi était son nom de jeune fille. Cependant, lorsqu’elle y repensait, elle ne pensait pas que cela pouvait être possible. Sa mère lui avait dit qu’elle aurait des choses à apprendre de cette femme, mais elle… c’était une proxénète et son mari un magnat du pétrole aux activités secondaires plus que douteuses en vue des conversation qu'elle avait pu surprendre. Qu’avait-elle à apprendre d’une femme de ce genre ? D’une femme qui se contentait d’utiliser la faiblesse d’autre femmes pour les amener à les faire se sentir résignées, au point qu'elles acceptent de se faire exploiter, de se prostituer et gagner ainsi son argent. Cette Nazira, contrairement à sa mère avait l’aire d’être une femme sans morale ni éthique. Une femme qui croyait bien plus en elle qu’à Dieu ni tout autre être de cet univers. Sa mère n’avait absolument rien en commun avec elle. Tout du moins, elle le croyait et l’espérait. Sa mère... Le soir où elle l'avait perdue, Sahar avait cru voir l’enfer. Oui. Pour elle, elle l’avait bel et bien vécu, c'était une certitude. Et depuis, une seule et unique chose occupait son esprit : cette envie. Cette envie profonde de mourir. Elle se sentait incapable de vivre avec ça. Avec ce mal. On lui avait fait du mal. Tellement de mal. Pourquoi s’était-elle retournée ? Pourquoi est-ce qu’elle ne l’avait pas écoutée ? Elle s’en serait sûrement mieux sortie. C’était pour cela qu’elle se retrouvait là, désormais. Là, sur les hauteurs de la ville, la surplombant de haut. D'ici, elle se sentait si grande et puissante, mais elle se sentait à la fois insignifiante et tellement faible. Beaucoup trop faible. Elle n’avait plus qu’à faire un pas, et il en serait fini d’elle, de ses cauchemars, de ses souvenirs, de sa vie… enfin, de cet enfer. Mourir était sans doutes beaucoup plus simple que de continuer à vivre encore longtemps en portant ses fardeaux, et ses maux. Elle n'avait peut-être que douze ans, mais après tout ce qu'elle avait vécu en si peu de temps, Sahar co-
nsidérait avoir suffisamment vécu. Si la vie se résumait à souffrir, si durant le reste de sa vie elle allait souffrir… puisque la vie ne lui faisait déjà aucun cadeau… il valait mieux mourir. Mourir, et ainsi elle rejoindrait sa mère et serait en paix. Plus de peine, plus de douleur, plus de souvenirs, plus de cauchemars, plus rien. Alors, une larme coula sur sa joue gauche. Elle qui détestait tant pleurer, ne prit même pas la peine de l'essuyer, ni de retenir toutes les larmes qui suivirent et s'écoulèrent sur ses joues. Elle se contenta simplement de prendre une grande respiration, de fermer les yeux, puis contempler une dernière fois ce paysage qui s'offrait à elle. Ça y est. Elle était prête. Puis elle entendit des pas. Malgré le fait que sa conscience lui disait de ne pas y faire attention, de se jeter enfin dans le vide sans attendre, Sahar se retourna. A sa grande surprise elle la vit, elle, Nazira. Cependant, la fillette décrocha rapidement son attention d'elle, avant de regarder de nouveau le vide alors que la quarentenaire s'approchait d'elle. Lorsque cette dernière était à sa hauteur, elle s'était arrêtée, avant de prendre la parole quelques secondes plus tard :
— Salut, p'tite. Qu'est-ce que tu fais ici ..? Ah oui, j'ai oublié que tu refusais de parler. En tous cas c'est ce que j'ai pu comprendre et ce que le médecin qui est venu l'autre jour a confirmé. Mais moi, je parle et il faut que je te parle, lançe-t-elle pour commencer. Tu sais, ici, c'est mon endroit préféré. D'ici, on a l'impression que l'on peut dominer le monde. Aussi, on se sent affreusement puissant et grand, mais à la fois si petit et faible. Puis le crépuscule et l'aube sont magnifiques à observer, d'ici. J'y venais souvent avec une amie, elle s'appelait Lila. Lila Abdellah. Il y a douze ans, elle m'a dit ici que l'enfant qu'elle portait était une fille. Même si elle n'avait pas vu de médecin, elle en était certaine. Elle m'a dit qu'elle l'appellerait Sahar et que son deuxième prénom serait Nazira. Que si un jour, je venais à faire la rencontre de cette enfant sans qu'elle soit à ses côtés, c'est qu'elle était probablement morte. Et voilà qu'aujourd'hui, deux semaines auparavant, je suis tombée sur toi, étalée au bord de la route, à peine vivante. J'ai regardé dans le sac que tu portais pour voir s'il y avait une quelconque information sur toi, et j'ai trouvé ton passeport, avec écrit "Sahar Nazira Abdellah" et ta date de naissance correspondait parfaitement. Au début, je ne voulais pas y croire, j'étais dans le déni. Pendant ces deux dernières semaines, j'ai voulu croire que ça n'était qu'une simple coïncidence. Alors j'ai tout fait pour retrouver Lila et m'assurer qu'elle était bien vivante et que sa fille était avec elle. J'ai mis une énorme somme d'argent pour la retrouver. Et lorsqu'ils ont retrouvé sa trace… il en était fini d'elle. L'endroit, le village où elle vivait : tout était réduit en cendres. Alors je me suis rendue à l'évidence. Oui. Tu es bien sa fille. Et celle que je considérais comme ma petite sœur, malgré le fait que cela faisait douze années que je n'avais plus nouvelles d'elle pour des raisons… de sécurité, était morte. C'était une évidence. Alors avant de te jeter, laisse-moi te parler et te raconter. Te parler d'elle et te parler de moi : Nazira Zandi. Je suis certaine qu'elle t'a déjà parlé de moi à un moment. Peut-être même avant la fin. Et aussi, je voudrais te parler des gens qui ont détruit sa vie et qui ont fini par la tuer, il y a deux semaines. Après ça, Sahar, tu feras ce tu veux. Je te laisserai mourir si tu le souhaites... ou te battre. Tu sais, je ne te forcerai à rien faire. Mais il faut que tu connaisses l'histoire. Ton histoire.