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Regarder. Regarder ce que j'ai construit. J'ai trente ans aujourd'hui, et des mafieux, des trafiquants en tout genre, des meurtriers... Enfin, tous ceux que le commun des mortels juge comme des personnes abominables se trouvent assis à ma table ; profitent du confort de mes fauteuils, de ce que je leur offre à boire et à manger, et discutent de tout ce dont ce beau monde est fait. Et moi, alors ? Que suis-je à côté d'eux ? Evidemment, pas la sainte. Mais la pire ? Ça reste encore à voir. Quoi qu'il en soit, je ne suis certainement pas celle que le commun des mortels nommerait comme une personne admirable. Je suis celle qui prostitue leurs filles et leurs fils, celle qui les incite à s'écarter du droit chemin. Je suis celle qui brise les rêves que les mères avaient pour leurs petites progénitures. Je suis celle qui tue et fait tuer leurs frères et sœurs. Celle qui entraîne et forme des frères et sœurs à détruire la vie d'autres frères et sœurs. Enfin, celle que personne ne veut voir arriver dans sa vie, si ce n'est que le type de personnes présentes ici, ce soir. Parmi ces personnes, certaines affichent des sourires hypocrites, d'autres sincères, tandis que d'autres encore se contentent de ne pas sourire. Le sourire ? Oui, il est légèrement présent sur le creux de mes lèvres. Un sourire de satisfaction. Satisfaite de savoir que j'ai réalisé la plus grande des volontés de Nazira, et donc de l'avoir surpassée. Satisfaite de constater qu'en réalité, c'est bien le mal qui triomphe toujours, malgré ce qu'une partie du monde peut croire. Satisfaite de voir les vrais dirigeants de ce monde sont sous mon toit. Et donc satisfaite de savoir que le monde est à ma portée. Le travail de dix-huit ans s'est enfin fructifié. Dix-huit ans à me reconstruire, dix-huit ans de haine, de rage et de violence et de triomphe.  Dix-huit ans passés à voyager, m'instr-

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uire, me perfectionner, afin de devenir... moi. Devenir la Sahar Abdellah. Mais ce n'est que le début. Trente ans. Mon aube. Des gens m'ont dit qu'ils avaient trouvé le jour de leurs trente ans terriblement déprimant. Mais je ne me suis jamais aussi bien sentie qu'en ce jour. Alors, étant au centre de la pièce à côté du piano, mon mari à mes côtés, tous mes invités enfin arrivés, et prête à enfin faire mon petit discours, j'ai appuyé trois fois sur une note de l'instrument afin de capter l'attention de tout ce beau monde. Une fois qu'ils m'ont remarqué et s'e sont tous tus, je commence à prendre la parole :

— Aujourd’hui, je fête mes trente ans. Et quel étrange plaisir de tous vous retrouver pour la première fois ici, dans mon humble demeure pour fêter l'événement… [...]

Entendre. Entendre les cris et les supplications de la personne qui se trouvait devant elle. Elle lui suppliait de lui laisser la vie sauve, elle disait qu'elle ferait en sortes de se racheter, qu'elle avait des proches qu'elle ne pouvait pas laisser tomber... et toutes ces choses qui n'étaient que du charabia, à ses yeux. Sahar la regardait, sans ciller ni sourciller. Elle aurait été plus clémente, plus apte à laisser la vie sauve à cette imbécile, si elle n'avait pas ouvert sa bouche, si elle s'était contentée d'accepter ce qui était sur le point d'être sa destinée. Pourquoi ? Pourquoi la plupart des gens avaient-ils si peur de la mort ? Pourquoi n'arrivent-ils pas à la regarder en face, lorsqu'ils savaient que le moment était venu pour eux de passer l'arme à gauche ? Qu'y avait-il de si compliqué et de si effrayant à cela ? A la finalité, on naît pour mourir, alors pourquoi leur est-il si compliqué de l'accepter, cette foutue mort ? C'était ce que Sahar se demandait toujours, même à trente ans, lorsqu'elle se retrouvait dans une situation comme celle-là. Elle-même avait souvent été proche de la mort. Elle avait eu à plusieurs reprise le sentiment qu'elle l'avait effleurée. Sahar s'était toujours résiliée à l'accepter, même si la mort, elle, avait finalement toujours refusé de la câliner, jusqu'à maintenant. Enfin. Il était temps de donner à cette personne à genoux devant elle ce qu'elle méritait et redoutait le plus. « Te donner une chance pour quoi ? Les gens aussi faibles et fourbes que toi ne me sont d'aucune utilité. », voilà quelles étaient les dernières paroles qui étaient adressées au futur cadavre. Rien de très glorieux. Après tout, lorsque l'on menait cette vie dérisoire, une vie de misérable, la mort n'était jamais glorieuse.  Et voilà qu'à peine  retournée, son homme de main s'était chargé d'enfin faire taire cette misérab-

le. Une bonne chose de faite. Elle n'y repensera plus dès le moment où elle aura franchit la porte de la pièce.

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