Pendant tout le trajet, Tariq, alors âge de neuf ans se remémorait les paroles de sa mère désormais hospitalisée. Voilà qu’il se retrouvait en France. Plus précisément à l'aéroport de Marignane, rattaché à la ville de Marseille. Là, un homme, grand de taille, aux cheveux courts, portant des lunettes de soleil noires l'attendait, tenant entre ses mains une pancarte avec inscrit en gros : “Tariq. Fils de Morad El-Kassimi”. C'était avec la boule au ventre qu'il se dirigea alors vers cet homme à l'allure peu rassurante car il avait déduit qu'au vu de la pancarte qu'il tenait, c'était vers lui qu'il devait se diriger. D'autant plus qu'il n'était probablement pas son père. C'était un homme blanc, brun aux yeux bleus, ayant probablement dans la quarantaine, ce qui ne correspondait nullement au portrait que lui avait décrit sa mère. Mais lorsque Tariq arriva à sa hauteur, le mystérieux homme lui souhaita la bienvenue d'un air étonnament chaleureux et lui confirma qu'il n'était pas son père, que celui-ci avait eu un empêchement, mais qu'ils se retrouveraient dans ce qui était sa nouvelle maison.
Voilà qu’ils finirent leur route dans une de ces villas hauts perchées dans cette colline qui donnait vue sur une grande avenue voisine de la Méditerranée, qui se nommait selon le chauffeur “La Corniche”. Le soleil tapait, pourtant, la légère brise qui caressait sa peau rendait soudainement le temps plus doux, et les cigales qui elles, chantaient en harmonie ne faisaient que renforcer le charme de ce beau petit monde.
Une fois à l’intérieur de la maison, il fut alors accueilli par un homme qui avait l’air d’être un gardien, un jardinier et une femme de ménage qui se chargèrent de directement récupérer ses affaires. Puis un homme, grand de taille à la peau bronzée, à la chevelure courte et au regard noisette s’approcha de lui. Sa mère avait raison. C'est vrai qu'il lui ressemblait. Cette fois, pas de doute possible : c'était bien son père. Cet homme arborait un grand sourire sincère et il avait dans le regard, une lueur témoignant d’un mélange entre la fierté et d’une grande émotion.
— Tariq ! Comme je suis heureux d’enfin te voir !
Dit Morad, avant de serrer son fils dans une chaleureuse étreinte. A vrai dire, Tariq ne savait pas quoi ressentir à ce moment précis. Il ne connaissait pas cet homme qui se prétendait être son père. Il ne connaissait pas cet homme vivant dans ce luxe indécent pendant que lui menait une vie plus que modeste avec sa mère qui elle, trimait pour se nourrir elle et son fils, l’inscrire dans une bonne école et payer son traitement. Il ne connaissait pas cet homme qui les avait laissés à des kilomètres, seuls et livrés à eux-mêmes sans personne d’autre sur qui compter. Bien qu’il ne s’était jamais plaint de sa vie à Agadir, il se disait bien que tout aurait été différent pour sa mère s’il avait été présent. Alors il ne lui répondit pas. D’ailleurs, pendant un moment, il ne lui adressait pas la parole, lui qui pourtant, se montrait très bavard avec le reste du personnel de la maison. Jusqu’au jour où ça a été confirmé. Sa mère était décédée. Malheureusement, la maladie avait fini par l’emporter. Il s’y attendait, même s’il gardait espoir et demandait de l’aide pour elle dans chacune de ses prières auprès d’Allah. Mais ce jour-là, Tariq avait exprimé à son père à quel point il pouvait le détester.
Il avait maintenant dix-sept ans et cela faisait huit ans qu’il vivait à Marseille. Huit ans que sa mère, Hayat, était décédée. Mais maintenant huit ans que son père, Morad, s'occupait de lui. Il s’était occupé de l’éducation de son fils et avait commencé depuis ses seize ans à le préparer pour le succéder. Il avait appris à son fils à se servir de sa haine et de sa rage pour devenir toujours plus fort, viser toujours plus loin et atteindre les plus hauts sommets. Bien que ce fut difficile au début, ils avaient tous les deux fini par se créer une très belle complicité et une grande relation père-fils. Tariq voulait devenir comme lui, un homme qui réussit tout ce qu’il entreprenait, d’influence et de pouvoir, instruit et qui a sa place dans ce monde, tout en prônant fièrement ses origines. D’ailleurs, c’était ce que sa mère voulait qu’il devienne et il était heureux de devenir cet homme grâce à son père.
C’était un soir d’été, après avoir passé une journée avec ses amis que Tariq avait pris le chemin du retour. C’était toujours sur son scooter qu’il remontait la Corniche pour enfin rentrer chez lui. Un chemin qui désormais, lui était devenu totalement familier. Alors arrivé à quelques centaines de mètres de sa maison, il vit deux voitures noires ainsi que deux motos venant de la direction de chez lui rouler à toute vitesse. Il n’avait pas eu le temps d’identifier les visages mais en les voyant, les battements de son cœur s'accélérèrent soudainement. Il avait un mauvais pressentiment. C’était alors à toute allure qu’il fila en direction de la propriété. Une fois arrivé au niveau du portail, celui-ci était ouvert. Son cœur se serra. Il descendit de son scooter, s’approcha de la porte d’entrée, qui elle, n’était pas entièrement fermée. Son cœur se serra un petit peu plus. Mais lorsqu’il poussa la porte, il crut halluciner en voyant le gardien de la maison inerte, criblé de plusieurs balles, dont une dans la tête, un pistolet se trouvant près de lui. A côté, le bras droit de son père, Marc, appuyé contre le mur, compressant tant bien que mal sa blessure par balle au ventre. A ce moment-là, le cœur de Tariq se serra. Tellement, qu'il crut qu'il avait cessé de battre pendant une courte seconde. Il comprenait ce qu’il venait de se passer. Affolé, il se dirigea directement vers Marc, l’aida à compresser sa blessure tout en lui demandant où était son père sans relâche. Ses yeux étaient remplis de
larmes et son corps entier tremblait. Il espérait tellement que son père ne soit pas là, qu'il soit sain et sauf. Cependant, Marc lui indiqua en rassemblant toutes ses forces, de se diriger vers le jardin. L'adolescent lui dit alors à d'une voix tremblante, qu'il allait chercher son père, et qu'il comptait sur lui pour tenir le coup. C'était d'un pas désorienté que Tariq traversa le couloir qui menait au salon, constatant que l'endroit où il se trouvait était saccagé, au vu des débris qui se trouvaient là et des impacts de balles présents sur les murs et le sol. Enfin arrivé dans le salon, il vit Nafissa, la femme de ménage qui elle, était blessée par balle au niveau de la jambe. Elle avait réussi à se traîner jusqu’au téléphone et disait à Tariq de ne pas s’inquiéter, qu’elle allait justement appeler les secours. Elle lui disait à quel point elle était heureuse de voir qu’il n’avait rien. Mais surtout, de ne pas aller dans le jardin avant la venue des secours. Qu’il n’aille pas dans le jardin ? Là où se trouvait son père d’après Marc ? Impossible. C’était sans plus attendre qu’il s’y rendit en appelant son père, désespéré. Mais arrivé au niveau de la piscine, il fit un bond en arrière en voyant que l’eau avait désormais pris une couleur rougeâtre. Mais il parvint à reprendre ses esprits tant bien que mal et courut sur l’un des bords du bassin. Oui il était bien là, le corps inerte de son père criblé de balles, flottant sur cet étendu d’eau souillée. Son cœur, alors… se brisa. Oui, à ce moment précis, Tariq sentit son cœur se déchirer dans sa poitrine. Le hurlement de douleur qu'il avait poussé à ce moment-là n'était qu'une infime partie de ce qu'il ressentait, s'écroulant à genoux au sol. Il ne pouvait pas et ne voulait pas le croire. Son père ne pouvait pas mourir. Pas lui aussi. Pas maintenant. Il avait encore tant à apprendre à ses côtés, et tellement d'années et de bons moments à encore partager avec lui. Alors, le jeune homme qu'il était reprit ses esprits et son souffle. Puis sans réfléchir et animé par le pauvre espoir que son père soit encore en vie, il sauta dans la piscine afin d’en extirper son corps. Une fois qu’il l’en avait sorti en utilisant une force qu’il ne se connaissait pas, il demandait à son père de répondre, de se réveiller. Il lui disait qu’il était là, qu’il ne voulait pas qu’il le laisse, qu’il ferait tout pour qu’il se réveille. Il lui avait même dit pour la première fois de sa vie qu’il l’aimait. Il implorait Allah pour qu’il ne lui prenne pas son père. Mais Morad ne réagissait pas. C’était trop tard.